La longue et belle histoire des madones de Lyon

On peut certainement parler d’un attachement filial entre les Lyonnais et la Vierge Marie qui explique l’apparition de statues religieuses dans les rues de la ville au cours des siècles.
La floraison de ces sculptures coïncide avec trois dates-clés de l’histoire mariale de Lyon :

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Vitrail du voeu des échevins par Lucien Bégule, basilique de Fourvière
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Vierge dorée de Fabisch, basilique de Fourvière

Aux XVIIème et XVIIIème siècles, Jean de Bombourg et le Père Ménestrier recensent une centaine de niches avec statues. 

Les auteurs de la fin du XIXème siècle, traitant de la mutation et de la disparition de la ville ancienne  et de ses mœurs, considèrent la conservation et l’installation des statues comme une tradition religieuse, à la fois expression communautaire et piété individuelle incarnant « l’âme lyonnaise ».

En 1913, André George leur consacre un ouvrage : Les madones des rues de Lyon dans lequel il recense 400 sculptures.

 

Les madones des rues de Lyon par André George

Les emplacements de statues recensés datent majoritairement du XIXème siècle et beaucoup sont aujourd’hui vides. Que ce soient des constructions contemporaines (XIXème et XXème siècles), des aménagements sur une façade plus ancienne ou des réinstallations de statues, ces emplacements possèdent ou ont possédé une sculpture religieuse en ronde-bosse ou en relief, dans une simple cavité (niche) ou abritée dans un ensemble architectural plus élaboré (édicule à niche).

Lyon, un site unique

Le site de Lyon est remarquable par la présence de deux rivières et de deux collines relativement escarpées. Vu depuis l’esplanade de Fourvière, le panorama confirme ce que nous connaissons aujourd’hui de l’organisation historique de la ville d’ouest en est, de l’implantation romaine à l’extension contemporaine. Le développement de la presqu’île puis de la rive gauche du Rhône (Guillotière, Brotteaux), suivit la construction des ponts qui permirent le franchissement des cours d’eaux : le pont de Saône ou pont du Change au XIème siècle et le pont du Rhône, commencé en bois avant 1190 et achevé en pierre au XIVème siècle. Il fallut attendre les XIXème et XXème siècles pour voir la ville étendre sa superficie et rénover son centre.

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Lugdunum par Braun, Georg, 1541-1622 Hogenberg, Frans, 1535-1590 Bibliothèque municipale de Lyon

Ville médiévale et Renaissance

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Cloître_Saint-Jean-Rogatien le Nail-BM de Lyon.

A l’époque médiévale, la ville se serre jusqu’à la rive droite de la Saône, laissant aux jardins et aux vignes les versants des collines. Cette étroite bande à l’ombre de Fourvière concentre les habitations et de nombreux édifices, dont la cathédrale Saint-Jean-Baptiste et une dizaine d’églises ou chapelles : Saint-Pierre-le-Vieux et Saint-Georges au sud ; Saint-Paul au nord vers le faubourg de Bourgneuf ; la chapelle de l’hôpital Notre-Dame-de-la-Saunerie en bord de Saône. Tout autour, parfois fortifiés, des bourgs sont établis sur des terres insubmersibles, en hauteur bien sûr (Saint-Just, Saint-Irénée), mais aussi entre rivière et fleuve (Saint-Vincent, Saint-Nizier, Ainay) et même de l’autre côté du Rhône (Saint-Louis). Partout les habitations se groupent autour de clos et de bâtiments religieux (cathédrale, abbayes, églises) ou des points d’approvisionnement en eau.

Au XIIIème siècle, l’établissement des ordres religieux permet l’extension de la ville : installés sur de vastes îlots en marge des anciens noyaux urbains, leurs monastères se trouvent rapidement intégrés dans la ville. Seul le pont du Change assure la continuité urbaine de part et autre de la Saône, sorte de cordon ombilical marqué au XIIIème siècle d’une croix en son milieu. Cette fonction symbolique est si effective qu’un habitant propose au XVème siècle de construire à ses frais, au milieu du pont, une chapelle « à l’onneur et révérance de Nostre-Dame, et y fondroit messes ; ainsi feroit au-dessus une tourneille en laquelle seroit un gros horloge».

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Sceau de Lyon en 1271

Dans ce tissu urbain dense, le moindre espace de dégagement, infime à nos yeux, est une véritable trouée, comme un carrefour. Deux statues sont attestées au Moyen-Age: Notre-Dame-du-Palais (citée en 1374) et Notre-Dame-de-Rue-Neuve (déjà présente en 1388) qui vont perdurer jusqu’au XVIème siècle. Ajoutons Notre-Dame-de-Béchevelin dont l’emplacement serait déterminé par les rues Béchevelin et de la Vierge (actuelle rue Gilbert-Dru 7ème arrondissement) et dont l’histoire remonterait au XVème siècle. Aujourd’hui en ces lieux, nous rencontrons des signes plus récents, des nouvelles statues ou des inscriptions, traces vives d’une dévotion ancienne.

 

Ville moderne et contemporaine

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Lugdunum vulgo Lyon par Braun Georg-1620- BM de Lyon

MODERNISATION AU XVIIème SIECLE

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Gravure Nicolas Langlois XVIIè musée Gadagne
Gravure Nicolas Langlois XVIIè musée Gadagne

Au XVIIème siècle, les monastères et les particuliers poursuivent la densification de la presqu’île. De nouvelles communautés religieuses comme les Ursulines, les Visitandines ou les Jésuites s’installent dans les espaces libres au sud ou sur les collines.

En 1630, Lyon possède neuf couvents d’hommes et onze de femmes qui prennent une part importante dans la création de statues religieuses. Par exemple, un saint-Pierre Célestin est payé 102,10 livres au sculpteur Martin Hendricy en 1644 pour être placé au-dessus de l’entrée d’un jardin (aujourd’hui passage voûté donnant sur la rue des Templiers, madone n°77). Sur ces maisons conventuelles, on privilégie les niches en façade. Une demeure des Récollets montée Saint-Barthélemy possède une façade animée par trois grands arcs enveloppant deux étages. La niche troue la hauteur du mur plein entre le rez-de-chaussée et le premier étage, position favorable pour sa visibilité (niche 147).

Les habitations du XVIIème siècle gardent les caractéristiques de l’immeuble lyonnais austère et haut (cinq à six étages plus un grenier), préférant symétrie et ordonnance à toute décoration.

Sur rue, cette maison présente son mur gouttereau (où coule l’eau de pluie), d’où la nécessité d’un large toit couvert de tuiles rondes. Petit à petit, cette façade gagne en largeur, les fenêtres sont disposées symétriquement de chaque côté d’un axe marqué par la présence d’une porte d’allée. Seule cette dernière possède un décor : fronton triangulaire ou arc en plein cintre dans lequel s’inscrit une imposte ornée de ferronnerie ou de stuc, avec parfois les initiales entrecroisées du propriétaire.

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Notre-Dame de Grâce, 1676, Coyzevox, église St-Nizier

Cependant, sans plan d’alignement efficace avant 1680, ces lotissements et ces nouvelles habitations n’empêchent pas l’étroitesse des rues qui demeurent sombres. Ils confèrent néanmoins à la rue une plus grande régularité visuelle comme en témoignent les immeubles construits par les Antonins (rue Mercière et rue de la Monnaie), ou encore les maisons dans le triangle des rues de la Poulaillerie, des Forces et de la Gerbe.

Dans cette ville aux maisons sans numéro, tout signe distinctif permet l’identification des habitations. Elles sont généralement nommées en fonction de leur position sur la rue (intersection), de la renommée de leurs propriétaires et par l’enseigne (« effigie » ou « figure ») qu’elles arborent. 

Indéniablement, le XVIIème siècle est une période faste pour les statues de rue installées essentiellement entre 1640 et 1680

La presqu’île semble disposer à chaque carrefour d’une statue de saint ou de Vierge. Autour de Saint-Nizier, une cinquantaine de sculptures distingue les habitations ; aux Cordeliers, une dizaine jalonne les rues en direction du fleuve ; vers les Terreaux et le bas des pentes de la Croix-Rousse, une vingtaine orne les maisons. Sur la rive droite de la Saône, on en dénombre une quarantaine entre la cathédrale et Saint-Paul. Les emplacements se situent sur des maisons de ville, dans des quartiers anciennement urbanisés, lieux de résidence des marchands-banquiers, des hommes de loi et autres détenteurs de charges.

 

LES MUTATIONS DU XVIIème SIECLE ET LES NOUVELLES STATUES

plan géométral de la ville de Lyon 1789 source gallica.bnf .fr

Vue de la Saone, Lallemand, 1716 1803, source Gallica Bnf

Vers la seconde moitié du XVIIIème siècle, le décor gagne peu à peu la façade, encourageant ainsi l’installation de nouvelles statues : les frontons coiffent les maisons (quai des Célestins après 1779), les colonnes et les pilastres rythment les étages (quai Lassagne à partir de 1749) et les ouvertures sont habillées de décor. C’est l’époque des opérations d’urbanisme de grande ampleur menées par Perrache à l’île Mogniat et par Morand aux Brotteaux.

LE XIXème SIECLE : BOULEVERSEMENT URBAIN ET REGAIN DE LA PIETE MARIALE

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Lithographie de 1860 « Voyage aérien en France, Lyon vue prise de la Croix-Rousse », par Alfred GUESDON.
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La rue de la République, à ses débuts « rue Impériale », créée sous le Second Empire.

Les rénovations urbaines du XIXème siècle vont bouleverser les tracés anciens sinueux pour créer des voies de circulation plus larges et plus rectilignes. Les directives du préfet-maire Vaïsse en 1853 favorisent la création de sociétés immobilières dont l’architecte-entrepreneur assure le montage financier, la vente des édifices construits, et imprime l’espace de son architecture. La rue Centrale (actuelle rue de Brest), la rue de Bourbon (actuelle rue Victor-Hugo), la rue Impériale (actuelle rue de la République) et sa parallèle la rue de l’Impératrice (actuelle rue Edouard-Herriot) voient le jour. Ainsi, s’élèvent sur ces nouvelles voies des immeubles réguliers aux façades plus ornées et répondant aux aspirations de la bourgeoisie. On trouve de nombreuses niches et statues sur la rue de l’Impératrice, notamment à la gloire de la Vierge Marie, compte tenu du renouveau du culte marial de l’époque. On peut apprécier encore aujourd’hui la qualité esthétique, l’éclectisme et le caractère monumental de ces niches et statues.

XXème et XXIème siècle : sauvetage et préservation

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Plan de Lyon de 1957 extrait de l'ouvrage « Lyon, un carrefour et un confluent » de Marcel ABADIE

Au XXème siècle, plusieurs moments clés concernant l’ensemble du patrimoine lyonnais ont provoqué une prise de conscience de la nécessité de préserver les statues des rues de Lyon.

En 1964, sous l’impulsion de nombreux Lyonnais dont l’association La Renaissance du Vieux-Lyon qui lutte contre des projets de percée et de destructions dans le Vieux-Lyon, l’ensemble urbain du quartier Saint-Jean, est déclaré secteur sauvegardé par André Malraux.En 1995, la Zone de Protection du Patrimoine Urbain et Paysager de la Croix-Rousse est créée.
En 1998, 427 ha du territoire lyonnais est classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité.

En 2008, répondant à l’initiative intitulée « Notre-Dame du Coin de la Rue » du Diocèse de Lyon, la Ville de Lyon a manifesté la volonté d’engager, avec les propriétaires des immeubles concernés, des opérations de rénovation, de restauration et de mise en valeur des niches et statues réparties sur son territoire.

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Merci Marie, Aurelle Richard

Un premier recensement des statues et de leurs niches en 1995 puis un second en 2008 ont établi un état des lieux de ce petit patrimoine afin d’y porter attention, notamment lors de ravalement de façades et de sensibiliser les institutions, les acteurs du secteur du bâtiment et de l’immobilier ainsi que les habitants.

Des collaborations étroites avec les propriétaires, les régies d’immeubles, la ville, les artisans du bâtiment ont permis de sauver des statues, de restaurer leurs niches, voir de découvrir de belles surprises : une coquille au cul de four d’une niche (place B. Crépu), une croix au-dessus d’une concavité (rue des Chartreux) là où on aurait tout aussi bien pu boucher l’espace… .

Les années 2010-2020 ont ainsi vu des nettoyages heureux (Vierge à l’enfant Place Lyautey, angle rue des 4 Chapeaux…) des restaurations de statues (Vierge à l’enfant de Fabisch du quai Fulchiron, statues de la Maison du Soleil…) et même des créations contemporaines ( Vierge Auxilliatrice de C. Onillon rue Paul Bert, Vierge d’E. Simonet rue Tavernier).

Après un siècle d’oubli, un vrai regain d’intérêt pour un patrimoine modeste mais attachant est amorcé.
A nous de poursuivre, en ancrant dans notre XXIème siècle, cette tradition lyonnaise ! Nous pouvons maintenant espérer des « apparitions de Madones » dans des niches désertées !

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Marie Auxiliatrice, Christine Onillon, 31 rue du Bœuf
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